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Philosophie, économie, société, neurosciences, chemins intérieurs.

L’ÉCOLE EST-ELLE MORTE ? - Novembre 2011

Si la réponse est oui, alors sur l'épitaphe on pourra lire : « morte sans douleur, par suite d'immobilisme ».

Dans le mot « école » il faut y voir l’ensemble des institutions et des programmes dispensés depuis le primaire jusqu’au supérieur. Prétendre enseigner, former et éduquer pour créer des cerveaux bien remplis et des élites est plus que jamais le cœur du sujet du XXIème siècle, mais plus dans les mêmes conditions d’exercice.  Mais de quel genre de cerveau et d’élite parlons-nous ?

Les stratégies éducatives concoctées par le Conseil Supérieur des Programmes composé d’universitaire, de chercheurs et d’élus de la République, ainsi que par des groupes d’experts, paraissent être construites comme devant répondre à une approche théorisée et académique des savoirs. Cependant, il ne semble pas y avoir une ambition intellectuelle affirmée de faire de nos élèves et étudiants, un facteur de différenciation du groupe social « France ». En fait, avec l’expérience de plusieurs années de face-à-face pédagogique, de nombreux enseignants et formateurs ont la perception qu’il n’est plus dans les intentions des concepteurs des programmes d’aider à la création de citoyens ouverts aux esprit aiguisés. Il s’agit plutôt de fabriquer des individus à la ressemblance intellectuelle étonnante et où la très exigeante pression des programmes limite drastiquement l’envie de construire des personnes différentes. Dans le système actuel, il est principalement question d’emplir les cerveaux, comme s’il s’agissait d’un contenant vide. Un seul objectif prévu à cela : faire régurgiter un savoir lors d’examens, contrôles continus et partiels en tous genres, sans que beaucoup de ces élèves comprennent le sens profond de cette accumulation.

Néanmoins, il est manifeste qu’une réflexion de fond a été posée pour rendre l’approche éducative compatible avec le marché du travail et favoriser l’insertion du plus grand nombre. Aucun doute non plus quant à la volonté de l’État de ne laisser aucun de ses élèves sur le bord de la route.
Cependant, il n’en reste pas moins que d’une part, le système éducatif reste suiveur et non plus leader d’un monde qui lui échappe. Et en matière d’adaptation pédagogique à l’environnement, ce n’est plus qu’une course au « bourrage » de crânes et au score PISA. D’autre part, cette adaptation-là s’appuie avec un certain retard d’ailleurs, sur un modèle économique et consumériste que le système éducatif alimente en conscience, et c’est intolérable, ou à son insu la plus totale et c’est inadmissible.
Par ailleurs, les normes internationales en matière d’éducation, fournissent une appréciation selon une grille d’évaluation et c’est en ce sens que je dis que nous sommes suiveurs, car on ne se pose pas la question de savoir si ce que nous suivons est bien le modèle à suivre !
Les modèles éducatifs français ressemblent déjà à l’esprit de compétition qui anime les systèmes économiques que par ailleurs l’inconscient collectif hexagonal aime à contester. Quand allons-nous nous poser la question du faible degré d’acceptation positive et d’enthousiaste de l’immense majorité des élèves de tous les niveaux ? Cette majorité silencieuse est enfermée dans une acceptation inconsciente de sa condition. Un fatalisme qui laisse libre cours aux dérives et à la destinée de nos sociétés enfantant des soldats travailleurs sans liberté intellectuelle.
Ces stratégies programmatiques correspondent seulement à une minorité dont il est facile d’évaluer le nombre, car dans les critères d’excellence, les mentions « très bien » au bac sont malgré tout indicatives, non pas d’un niveau d’ailleurs, mais d’une capacité. Les statistiques du MENESR
[1] montrent qu’entre 1997 et 2018 le pourcentage de mentions « très bien » toutes filières confondues, est passé de 0,7% à 7,2%[2]. Au-delà du pourquoi une telle augmentation avec une disparité d’ailleurs flagrante entre les filière générales, technologiques et professionnelles, on peut distinguer deux parties déséquilibrées dans les « têtes de classe ».
En premier lieu, les bachoteurs. Assimilés généralement à la catégorie des gros travailleurs qui réussissent très bien, cependant, leur capacité à mémoriser durablement l’information reste une notion incertaine car ce que j’appelle « l’intégration » des savoirs est mal réalisée. Ces très bons élèves se livrent corps et âme au système sans penser qu’un autre possible existe. Ils sont étonnamment conditionnés pour leur âge, mais impossible de leur jeter la pierre, ils n’y sont pour rien. Cette catégorie d’élèves ou d’étudiants n’en est pas moins méritante pour son travail. Ce n’est pas le sujet.
Et la seconde qui peut, quelles que soient les circonstances, « encaisser » n’importe quel système éducatif car elle possède des capacités cognitives non seulement supérieures à la moyenne, ce qui lui procure une rétention d’information durable (de l’intégration), mais également une capacité à s’adapter rapidement tout en conservant son libre arbitre et son indépendance d’esprit. À cet endroit précis, la mention « très bien » ne montre pas la différence. Celle-ci s’aperçoit par empirisme lorsque l’on retrouve quelques années plus tard ces publics. Il n’est pas rare alors de constater que la résilience du plus petit groupe est supérieure à celle du plus grand.

Pour ce qui concerne les institutions éducatives privées de l’enseignement supérieur, elles forment un individu globalement homo compatible avec l'environnement économique moderne particulièrement pour ce qui concerne les écoles de commerce.  Et pour les institutions publiques plus académiques, elles forment des individus homo-incompatibles avec ce même environnement moderne pour une part importante des sortants universitaires. Une caractéristique distingue ces deux institutions : le savoir-être qui devient un marqueur culturel très perceptible. Quant aux élites, qui elles-mêmes enseignent. Elles ont perdu à leur insu depuis plusieurs décennies le sens des réalités du monde extérieur. Elles enseignent des savoirs très scolaires, académiques, très brillants au sens de l’érudition, mais les corrélations tant avec nos sociétés modernes qu’avec l’humain sont faibles.

À quoi sert donc l'école ? Que crée-t-elle, si l'élitisme est pour la masse apprenante un inabordable Graal et si ce même Graal ne sait plus transférer ses savoirs avancés qu’à une petite minorité ? Avant de répondre, ouvrons une  brève parenthèse historique.

Le système éducatif a pour ambition de remplir au mieux les cerveaux de nos jeunes afin qu'ils deviennent des êtres majeurs au sens kantien du terme (majeur et sans tuteur) tout en acquérant une autonomie de pensée et d’émancipation. Elle sert à doter l'élève d'un esprit critique en mesure de lui apporter les moyens intellectuels minimums pour affronter le monde, la vie, la société, l'interdépendance planétaire, sa jungle complexe. Cette vision éducative devrait être la règle. Or, s'en est fini du rêve émancipateur de la troisième République. Pourquoi ?
Parce que le système s'est pétrifié sur le socle de l'excellence passée. Une excellence sur laquelle le monde académique reste encore admiratif du niveau antérieur de performance, qui certes répondait à une demande et à une époque… désormais révolue. Et comme chaque fois qu’un système ne veut pas « copier » sur la nature l’intelligence de ses capacités adaptatives, un fossé se creuse entre le monde moderne, vif et technologique et les savoirs académiques plus conceptuels et complexes. J’ajouterai que l’explosion du numérique même s’il a pu, il y a une vingtaine d’années, accélérer cet écart, n’est pas, et de loin, le seul facteur aggravant. L’université s’est très bien adaptée au numérique et là encore ce n’est pas le sujet. Le sujet sur lequel on doit se pencher, c’est le savoir-être couplé à une qualité d’enseignement de haut niveau. Ce qui est déjà la réalité de l’enseignement français, sauf que la transmission des savoir-être demeure marginale.
Ce qui serait différenciant dans la capacité à transmettre des savoirs pourrait se matérialiser à travers le changement de posture de l’enseignant ou du formateur. Adopter, par exemple, une posture égalitaire avec ses apprenants, ce qui ressemble à une injonction j’en conviens, est pourtant devenu un impératif. L’image que donne actuellement en France l’ensemble des systèmes qui dispensent des savoirs ressemble à une fin de course, à bout de souffle, tentant de monter dans un train en marche à l’intérieur duquel se cachent les fausses bonnes intentions. Ce n’est pas le bon train !

Dans la réalité des institutions, les apprentissages demeurent cantonnés dans l'univers clos des connaissances théoriques sanctuarisées, c'est de cela dont il est question. Cependant, dans ce monde extérieur aux établissements dont le supérieur fait partie, un monde soumis à la dureté des lois du marché, les savoirs théoriques perdent de leur sens profond. Non pas qu’ils soient inutiles, loin de là, mais il manque crucialement l’enseignement d’une adaptabilité, d’une agilité mentale, parce lorsqu’on aborde la relation professionnelle et interpersonnelle directe, la sanctuarisation des connaissances n’est plus le seul phare à l’horizon. Comme à chaque fois que des normes sont gravées dans le marbre, que les académismes ne veulent pas qu’une transgression à la règle ancrée dans un modèle immuable apparaisse, une opposition s’instaure, faible à l’intérieur de chaque institution, forte à l’extérieur.

Selon les sources du ministère de l’éducation 140 000 jeunes sont sortis du système scolaire sans qualification en 2011[3] et environ 80 000 en 2017. Malgré cette baisse significative, comment une démocratie moderne n’a pas la capacité à inventer un nouveau modèle pour libérer les talents personnels ? Ainsi, celui qui, n’adhérant pas à cette norme, s’est forgé par désespoir ou échec, un horizon sociétal basé sur des contre savoirs ou une contre-culture, travaille à la création de la partition dissonante de l’œuvre éducative collective, celle-là même qui fabrique les désespérés précurseurs des révoltes.

Le rapport PISA 2018 précise « que la France est l'un des pays de l'OCDE où le lien entre le statut socio-économique et la performance est le plus fort avec une différence de 107 points entre les élèves issus d’un milieu favorisé et ceux issus d’un milieu défavorisé. Cette différence est nettement supérieure à celle observée en moyenne dans les pays de l’OCDE (89 points). »[4]

Pourquoi ce schéma pose-t-il problème ?

Le principe de l'enseignement actuel repose sur un corpus d'apprentissages verticaux. Il consiste à enseigner une seule matière sans la relier à une autre. Autrement dit, une étanchéité s’installe entre l’ensemble des savoirs. Une poignée d'enseignants s'accorde pourtant quelques libertés pédagogiques pour rendre les apprentissages moins doctrinaires. Doctrinaires, parce qu'uniquement élitiste. Dans leur forme verticale qui s'élève vers l'expertise, si l’apprenant n’est pas dans cette démarche il décroche et reste dans le fond du seau en attendant l’évacuation par le bas. Mais aussi doctrinaires parce que n'apportant plus que rarement à l’ensemble des apprenants une des seules manières d’étudier : le plaisir.
Enfin, doctrinaires parce que n'autorisant pas la moindre opposition à son modèle comme dit précédemment, ni même la moindre contradiction envers l’enseignant. En France on exerce encore trop souvent le métier d’enseignant ex cathedra !

 

Il existe pourtant une autre voie. Celle des apprentissages transversaux interdépendants. Les savoirs enseignés dans la forme pédagogique horizontale relient entre elles les disciplines, mettent en perspectives les notions dispersées par des matières contingentées dans des séquences horaires de cinquante-cinq minutes. Comment peut-on trouver, ici, au travers de cette crispation intellectuelle dont ne subsiste qu'un vide de connaissances une fois le bachotage terminé, la possibilité de fabriquer des personnes émancipées ?

C'est presque impossible ! Pourtant, les choses ne sont pas si simples. Il faut bien se rendre à l’évidence et constater que dans ce monde actuel nous avons toujours besoin d’élites. Mais de quelles élites parlons-nous ?

Les élites sont précisément différentes des experts à condition qu’elles se soient affranchies des dogmes et doctrines qui les conditionne. Dans ce cas, elles se placent dans les savoirs horizontaux décloisonnés et en même temps dans la Connaissance verticale.

Et, c'est sur la base de ce postulat que nous pouvons à présent répondre à la question initiale : l'école est-elle morte ? La réponse est oui. Elle est morte dans sa conception actuelle. Si elle crée encore des élites utiles, c’est dans ce faible pourcentage des mentions « très bien » indépendantes d’esprit et émancipées qu’on les trouve. Mais je voudrais préciser que le choix des mentions « très bien » est bien sûr trop restrictif et qu’il manque à l’évidence d’autres publics tous aussi adaptables, libres et émancipés, n’entrant pas dans cette catégorie, mais surtout invisibles des radars.
Pour le restant de l’immense majorité, l’école crée des individus sans saveurs mais très utiles aux prophéties de la consommation et de l’économie toute puissante. Ils sont malheureusement ignorants d’une grande partie des savoirs émancipateurs permettant d'appréhender l'ensemble et non le cas particulier.

Aussi ne pleurons pas trop sur le système car nous en sommes tous les produits engendrés par lui-même, c'est à dire des personnes semblables finissant par penser à l'identique quel que soit le continent. De bon petits soldats alimentant la Babel Économique.
À moins que le covid-19, avec sa brusque entrée dans nos vies, développe dans nos ressources personnelles, la capacité à changer de paradigme et à rendre l’humanité moins attachée aux vieilles valeurs du monde qui vacille.

 

                                                                                                                                                                                                                                              Patrick LOUART

                                                                                                                                             20 novembre 2011
                                                                                                                                             Revu le 27 mars 2020

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